En 2015, des milliers de Syriens trouvaient refuge en Allemagne, dix ans plus tard le pays se referme

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En 2015, des milliers de Syriens trouvaient refuge en Allemagne, dix ans plus tard le pays se referme

Il y a dix ans, dans la nuit du 4 au 5 septembre 2015, l’Allemagne ouvrait sans réserve ses frontières aux réfugiés syriens fuyant la guerre, confiant leur destin au premier État-providence d’Europe. Dix ans plus tard, le pays semble se refermer sur la question migratoire, sous l’effet de défis sécuritaires et économiques difficiles à relever.

Alors que la guerre faisait rage en Syrie depuis 2011, l’Allemagne, qui avait accueilli deux premiers contingents de 10.000 Syriens dans le cadre d’un programme d’admission humanitaire en 2013, change radicalement sa politique migratoire avec l’ouverture incarnée par l’ancienne chancelière Angela Merkel, au pouvoir durant quatre mandats (2005-2021).

L’année 2015 marque un tournant avec un afflux massif et sans précédent de près d’un million de réfugiés et de migrants, principalement syriens, alors que l’Allemagne suspend l’application du règlement de Dublin pour les Syriens, leur permettant de demander l’asile directement sur son territoire, quel que soit leur point d’entrée dans l’Union européenne (UE).

“Wir schaffen das” (Nous y arriverons), la phrase prononcée en août 2015 par celle que les Allemands surnomment la Dame de Fer, a marqué l’opinion publique et est devenue le symbole de la politique d’ouverture de l’Allemagne envers les réfugiés, tandis que de nombreux responsables politiques considéraient alors la situation comme une crise humanitaire et migratoire.

Aujourd’hui, une décennie plus tard, les Allemands continuent de se demander s’ils y sont vraiment “arrivés”. Une interrogation qui s’accentue avec la nouvelle coalition gouvernementale, entrée en fonction le 6 mai 2025 et conduite par le chef de file de l’Union chrétienne-démocrate et sociale (CDU/CSU), le chancelier Friedrich Merz, lequel a estimé que l’Allemagne n’y est “manifestement pas arrivée”.

Et pour cause, la première puissance économique d’Europe a profondément changé au cours des dix dernières années, sous l’effet de l’arrivée massive de réfugiés ukrainiens après le déclenchement du conflit avec la Russie en 2022, mais aussi d’Afghans que l’Allemagne s’était engagée à accueillir en 2021, après la reprise du pouvoir par les talibans.

À cette pression migratoire se sont ajoutées les épreuves économiques que l’Allemagne a dû affronter, d’abord lors de la crise mondiale du coronavirus qui a affaibli ses capacités industrielles et son économie tournée vers l’export, puis avec la rupture des liens avec la Russie, qui a entraîné l’interruption des approvisionnements en gaz, lequel couvrait 55% de sa consommation énergétique, notamment via les gazoducs Nord Stream 1 et 2.

Résultat, l’économie allemande, longtemps considérée comme un modèle de stabilité, traverse une crise qui perdure depuis 2021, avec une croissance en recul continu, passant de +2,2% en 2021 à +1,8% en 2022, avant d’entrer en récession en 2023 et 2024, avec respectivement -0,3% et -0,2%. Il en résulte alors des coupes budgétaires dans les services sociaux, en particulier ceux destinés aux réfugiés et aux migrants.

Dans ce marasme socioéconomique, le parti d’extrême droite “Alternative pour l’Allemagne” (AfD), créé en 2013, a insidieusement tracé son chemin jusqu’à surprendre le monde lors des législatives de février 2025, en s’imposant comme la deuxième force politique du pays, derrière le parti conservateur du chancelier Friedrich Merz, avec 20,8% des suffrages.

Dans ce nouveau contexte économique et politique, l’époque d’une Allemagne salvatrice et volontariste dans l’accueil des migrants et des réfugiés, portée par des valeurs humanitaires et attachée aux principes sociaux, semble révolue, à l’heure où la question migratoire cristallise désormais l’essentiel des discours.

Une situation amplifiée par les récentes attaques terroristes impliquant des demandeurs d’asile, comme l’attaque au couteau de Solingen en août 2024, la voiture-bélier de Magdebourg en décembre, puis celles de Munich et du Mémorial de l’Holocauste à Berlin en février 2025, qui ont ravivé le débat sur la politique migratoire allemande.

La chute du régime de Bachar Al Assad en Syrie en décembre 2024 a également mis en lumière l’évolution du paradigme migratoire en Allemagne. Dès son annonce, un large débat s’est ouvert en Allemagne sur le retour des réfugiés syriens, l’AfD appelant publiquement à leur rapatriement immédiat, tandis que le gouvernement fédéral suspendait l’examen des nouvelles demandes d’asile syriennes.

Alors que l’Allemagne compte aujourd’hui près d’un million de Syriens sur les trois millions ayant transité par le pays et qu’une large partie s’est intégrée dans le tissu social, l’ancien chancelier Olaf Scholz (2021-2025) a souligné que les réfugiés syriens “bien intégrés”, travaillant et établis en Allemagne, “restent les bienvenus”.

Au lendemain de sa prise de fonctions le 6 mai 2025, son successeur a annoncé un durcissement de la politique migratoire, rétablissant le contrôle de l’ensemble des frontières terrestres de l’Allemagne et autorisant de vastes opérations d’expulsion, justifiées par la lutte contre l’immigration illégale dans un contexte de menaces sécuritaires et de forte pression migratoire.

Ce virage drastique de l’Allemagne suscite déjà des critiques d’États voisins, d’ONG et de courants politiques de gauche, dans un pays marqué par un vieillissement démographique et un besoin estimé à 400.000 travailleurs étrangers par an au cours de la prochaine décennie.

L’objectif affiché par le gouvernement de coalition entre l’Union CDU/CSU et le Parti social-démocrate (SPD) est de reprendre le contrôle de la migration, en visant à limiter le nombre de demandes d’asile à 100.000 par an, contre 230.000 en 2024 et 330.000 l’année précédente.

Angela Merkel, l’ancienne chancelière qui avait ouvert l’Allemagne aux réfugiés, s’oppose à ce tournant restrictif et continue, dix ans plus tard, d’assumer sa formule “Wir schaffen das”, comme elle l’a rappelé dans ses mémoires “Liberté”, publiées en novembre 2024, et lors de ses récentes apparitions télévisées, estimant qu’elle était “moralement juste et historiquement nécessaire”.

Persuadée que “l’Allemagne est un pays fort”, Angela Merkel, membre de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) comme l’actuel chancelier Friedrich Merz, mais rivale historique de ce dernier au sein du parti, affirme “sans aucun doute” que, si c’était à refaire, “je le referais”.

MAP


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